En visio ou à mon cabinet, je suis des personnes qui possèdent des résidences dans les plus belles villes du monde, mais qui scrutent leurs investissements à 3h du matin avec une angoisse sourde. Ces dirigeants qui peuvent acheter ce qu’ils veulent, quand ils veulent, mais qui se réveillent la nuit en calculant mentalement leur patrimoine.
C’est comme une forme de vertige permanent. Cette sensation étrange qu’éprouvent ceux qui, malgré leur family office, leurs conseillers patrimoniaux et leurs stratégies de diversification sophistiquées, ressentent toujours ce nœud à l’estomac. Cette impression tenace que même 50 millions en actifs diversifiés ne constituent pas vraiment un « matelas suffisant ».
La dysmorphie financière opère comme un filtre qui déforme tout. Je vois des personnes qui possèdent une fortune considérable développer une anxiété réelle devant une dépense qui représente 0,1% de leur patrimoine. Non par avarice, mais par cette peur irrationnelle que chaque dépense soit le début d’une spirale qui mènera à tout perdre.
Il y a quelque chose de profondément déstabilisant dans cette dynamique. Des personnes capables de structurer des opérations financières complexes à l’international perdent leurs repères face à leur propre richesse. Comme si plus le patrimoine grandissait, plus la peur de le perdre devenait paralysante.
Cette dysmorphie financière fonctionne comme un logiciel défaillant. Elle transforme l’abondance en insuffisance, la sécurité en précarité. Elle crée ce besoin constant d’accumuler plus, non pas par avidité, mais par une forme d’anxiété profonde que même les meilleurs placements ne parviennent pas à apaiser.
Le plus paradoxal, c’est que ce sentiment d’insuffisance chronique n’a souvent rien à voir avec les chiffres réels. C’est une distorsion émotionnelle qui se nourrit d’elle-même. Plus on accumule, plus on a peur de perdre. Plus on réussit, plus l’échec potentiel devient vertigineux.
Ce qui m’interpelle le plus, c’est comment cette dysmorphie affecte notre capacité à être présent. Quand l’esprit est constamment projeté dans un futur incertain à sécuriser, il devient presque impossible de savourer l’abondance du moment présent. Les succès deviennent des étapes, jamais des destinations.
La véritable richesse ne réside peut-être pas dans les chiffres sur nos relevés bancaires. Elle se trouve dans notre capacité à ressentir l’abondance, à l’accueillir, à la reconnaître comme une réalité tangible et non comme une illusion fragile qui pourrait s’évaporer au moindre revers.
Car au fond, la sécurité que nous recherchons n’est pas dans l’accumulation infinie. Elle est dans notre capacité à faire confiance. Confiance en nos ressources intérieures, en notre capacité à rebondir, en notre valeur qui existe indépendamment de nos avoirs.
Peut-être que le vrai luxe, finalement, c’est de pouvoir regarder nos comptes sans anxiété. De pouvoir dire « c’est assez » et le croire vraiment. D’être capable de voir l’abondance non pas comme un chiffre à atteindre, mais comme un état d’esprit à cultiver.