Un dirigeant m’a dit quelque chose d’étonnant la semaine dernière. Il venait de vendre son entreprise pour plusieurs millions. Il m’a regardé et m’a dit : « Vous savez ce qui est bizarre ? Mon téléphone n’a pas arrêté de sonner depuis l’annonce. Tout le monde me félicite. Mais ce matin, j’ai regardé mes mains… elles ont vieilli sans que je m’en aperçoive. »
En fait, c’est troublant cette relation qu’on a avec le temps. Surtout quand on est aux manettes. On pense qu’on le gère, qu’on l’optimise, qu’on le rentabilise. On a même inventé cette expression : « Le temps, c’est de l’argent. » Mais le temps n’est pas de l’argent. Le temps, c’est de la vie.
Je pense à ce PDG qui a fait installer une douche dans son bureau. Il était fier de me dire qu’il gagnait trente minutes chaque matin. Mais quand je lui ai demandé ce qu’il faisait de ces trente minutes gagnées, il est resté silencieux un long moment.
Vous savez ce qui est fascinant avec les très grands patrons ? Ils portent souvent des montres extraordinaires. Des petits bijoux de technologie et de précision. Et pourtant, beaucoup d’entre eux ont perdu la notion du temps. Pas celui des horloges. Celui de la vie.
Cette femme dirigeante qui est venue me voir… Elle gérait le temps à la minute près. Son agenda était une œuvre d’art d’optimisation. Un jour, elle s’est aperçue que sa fille avait commencé à noter dans son petit carnet : « Maman – 15 minutes » quand elle voulait lui parler. Comme tous les autres rendez-vous.
Ce qui me touche dans l’accompagnement, c’est ce moment où les gens réalisent que le temps a sa propre logique. Il y a le temps des affaires, bien sûr. Celui des objectifs, des deadlines, des résultats. Mais il y a aussi le temps du cœur. Celui qui s’étire dans un fou rire, qui se suspend dans un regard, qui s’écoule différemment quand on ose enfin s’arrêter.
Il y a un mois, j’ai reçu un mail étrange d’un ancien client. Un homme qui avait bâti un petit empire. Il m’écrivait depuis son jardin. « Pour la première fois depuis vingt ans, je viens de passer une heure à regarder un papillon. Je ne savais même plus que c’était possible. »
En fait, on oublie souvent une chose toute simple : le temps ne se rattrape pas. On peut rattraper un retard, un objectif, un chiffre. Mais on ne rattrape pas un printemps, un moment, une sensation.
Je me souviens de ce grand patron de l’industrie. Il avait cette manie de toujours vérifier sa montre connectée. Un jour, en pleine séance, elle s’est éteinte. Il a paniqué pendant quelques secondes. Puis il s’est mis à rire. Un vrai rire, qui venait du ventre. « C’est la première fois depuis des années que je ne sais pas exactement quelle heure il est », m’a-t-il dit. « Et vous savez quoi ? C’est plutôt agréable. »
Il y a une question que j’aime poser parfois : « À quand remonte la dernière fois où vous avez perdu la notion du temps ? » Pas perdu du temps. Perdu la notion du temps. Cette sensation d’être tellement présent que les heures deviennent fluides.
Ce qui est beau, c’est de voir quelqu’un redécouvrir qu’il n’est pas condamné à courir après le temps. Qu’il peut aussi danser avec lui. Créer des moments qui échappent aux calendriers. Des instants qui ne seront jamais rentables mais qui donnent son sel à la vie.
L’autre jour, un dirigeant m’a confié : « J’ai des actions qui valent des millions. Mais hier, mon petit-fils m’a demandé de lui apprendre à siffler. J’ai passé une heure avec lui, juste pour ça. C’était probablement l’heure la plus précieuse de toute mon année. »