Il y a ces moments de grâce dans mon travail. Ces instants où quelqu’un s’autorise enfin à poser les armes. Pas les armes du combat, non. Les armes de l’apparence, de la performance, du « il faut ». Ces moments où, dans le silence de mon cabinet, quelque chose se dénoue enfin.
C’est toujours différent, et pourtant si semblable. Parfois c’est un soupir qui vient de très loin. Parfois c’est une larme qu’on retient depuis des années. Parfois c’est juste un silence, mais un vrai silence. Un de ceux où on peut enfin s’entendre respirer.
L’autre jour, un dirigeant m’a appris quelque chose de précieux. Au milieu d’une phrase sur ses objectifs, ses challenges, il s’est arrêté. Un long moment. Puis il m’a regardé et a dit : « En fait, je crois que c’est la première fois depuis dix ans que je m’arrête vraiment. »
Vous savez ce qui est beau dans l’accompagnement ? Ce n’est pas d’avoir des réponses. C’est de créer cet espace où les vraies questions peuvent enfin émerger. Ces questions qu’on n’ose même pas se poser quand on court toute la journée.
Je pense à cette femme dirigeante qui est venue me voir pour des questions de stratégie. Elle avait tout préparé, ses dossiers, ses chiffres, ses enjeux. Et puis, dans un moment de silence, elle a juste dit : « En fait, je suis fatiguée de devoir être forte tout le temps. » Cette simple phrase a ouvert un chemin vers elle-même qu’elle avait oublié depuis longtemps.
Ce qui me touche le plus, c’est cette transformation silencieuse qui s’opère. Pas dans les grands bouleversements, non. Dans ces petits moments où quelqu’un retrouve sa propre voix. Sa vraie voix, pas celle qu’on attend de lui.
Les gens pensent souvent qu’il faut tout changer pour que les choses changent. Mais parfois, il suffit juste… d’arrêter. D’arrêter de courir, d’arrêter de faire semblant, d’arrêter de porter des masques qui sont devenus trop lourds.
C’est comme cette rivière gelée qui se remet à couler au printemps. Ça ne fait pas de bruit. Ça ne casse rien. Ça fond juste, doucement, et la vie reprend son cours.
Dans mon cabinet, j’ai ce fauteuil. Un simple fauteuil. Mais quand quelqu’un s’y assoit et qu’enfin, peut-être pour la première fois depuis longtemps, il peut juste être lui-même… C’est là que la magie opère. Cette magie toute simple de redevenir humain.
Je me souviens de ce patron qui contrôlait tout, tout le temps. Un jour, il s’est assis et a dit : « Je ne sais même plus qui je suis quand je ne suis pas en train de prouver quelque chose. » Cette simple prise de conscience a changé quelque chose en lui. Pas d’un coup, non. Comme une graine qui commence à germer.
Au fond, peut-être que la plus belle transformation, c’est celle-là. Ce moment où on réalise qu’on n’a pas besoin d’être parfait. Qu’on n’a même pas besoin d’être fort. Qu’on a juste besoin d’être vrai.
C’est ça, je crois, le vrai travail que je fais. Pas donner des solutions. Pas réparer. Juste être là, présent, pendant que quelqu’un retrouve son propre chemin. Son propre souffle. Sa propre vérité.
Parfois, dans le silence de mon cabinet, je me dis que c’est peut-être ça, la vraie réussite. Pas ce qu’on accumule à l’extérieur, mais ces moments où on ose enfin regarder à l’intérieur. Ces moments où, enfin, on s’autorise à être simplement, profondément, soi.